Érèbe. [UC}

Il y a quelques années, la jeune Érèbe ne ressemblait en rien à la personne qu'elle est maintenant. Ses cheveux rebiquaient de tous côtés, fiers de leurs courbes et de leur étrange teinte sablée. Ses yeux étaient beaucoup plus profonds, beaucoup plus expressifs. L'on pouvait y voir son propre reflet tant le turquoise qui les colorait était clair. Et puis sa peau qui, loin d'être sombre certes, était bien dorée par le soleil ...

Si l'on avait en face de soi l'Érèbe. d'il y a deux ans et celle d'aujourd'hui, nul ne penserait qu'il s'agit là de la même personne. Soit, on peut changer avec le temps mais, si brusquement et radicalement en seulement deux ans ... Sa crinière de sable s'est lentement foncée, comme si l'on y avait renversé une bouteille d'encre de chine et que le liquide s'y était imbibé insensiblement. Ses boucles se sont fanées, ne laissant plus que des mèches sans volume ni épis. Aux mêmes instants, ses yeux ont jeté leur brillance et sont doucement devenus ternes, vides, sombres. Essentiellement teintés de brun, accessoirement accompagné de quelques éclats d'un orangé blafard, ils semblent incroyablement plus calmes, moins vivants. Sa peau a alors pâli, et pâli encore, jusqu'à en devenir blanche. Si bien que son actuel teint, bien que très loin d'être translucide, accentue énormément la noirceur de ses cheveux et l'obscurité de ses yeux.

Cette étrange métamorphose s'est étendue sur trois mois, ni plus ni moins. Bien évidemment, ça n'est pas la nature qui la fit se transformer ainsi, mais bien une cause externe, inhabituelle et occulte : l'échec de l'invocation de Nue. Si l'échec en lui-même n'en est pas la raison, les faits d'avoir approché une créature telle que celle-ci, d'avoir goûté à sa puissance et tissé une sorte de lien avec cette dernière, tous eurent pour conséquences la dénaturalisation de l'adolescente, qui à l'image de son âme de l'époque, perdit un peu d'humanité dans le physique.

Elle garde également quelques autres souvenirs de cette rencontre avec la bête. Bien que compétents et délicats, les soigneurs qui s'occupèrent d'elle après son échec ne purent effacer toutes traces des blessures que lui avait infligé sa propre invocation. Son bras gauche dans sa totalité, du bout des doigts jusqu'au sommet de l'épaule, se pare de fines cicatrices pâlottes, à peine bleutées sur sa peau déjà bien claire. Ces dernières se croisent et s'entrecroisent, telles des toiles d'araignées, signe d'une chaire en lambeau bravement et incroyablement bien recousue, grace à une magie de soin développée et maîtrisée. Autre petit reste d'état critique, son œil gauche n'y voit pratiquement plus.

Aux premiers abords, la brunette peut sembler un brin nonchalante. En effet, elle remue très peu et généralement, elle évite de s'agiter pour rien. À vrai dire, toutes ses actions, et même les plus farfelues, s'effectuent dans le calme. Ainsi, on ne la verra jamais courir ou gesticuler sans raison. Mais ou pourra l'apercevoir grimper à un arbre, avec autant de vivacité qu'un koala. Bien souvent, on lui confère à tort le statut de sympathique mollassonne. Elle n'est pas aussi fainéante que l'on voudrait bien le faire croire, et si parfois elle s'allonge et reste à terre, amorphe, c'est simplement qu'elle en ressent le besoin. Le plus clair du temps, Érèbe est pressée d'avancer, comme possédée par un besoin d'aller de l'avant, elle marche à son rythme pendant des jours entiers, continuant sa route à travers des nuits sombres et des jours arides, sans prendre de repos. Sous ses airs ni-euphoriques ni-attristés, la demoiselle aux souliers usés ne peut se résoudre à s'arrêter de marcher si elle sait qu'une fois stoppée, elle se retrouvera seule avec elle-même. Elle est tout simplement terrifiée par l'idée de se faire face. S'affronter lui brûle la poitrine, non-pas comme une flamme, mais comme une douloureuse engelure. Lorsqu'elle marche, elle ne pense à rien, si ce n'est à ses pieds et à la route à suivre. Lorsqu'elle est entourée d'une foule, elle se divertie et profite de cette opulence de présences pour mieux l'apprécier. Mais lorsqu'elle est seule, au milieu de nulle part, la collision avec ses propres ressentiments est obligatoire et si violente qu'elle n'en sort jamais indemne. Regrets amères, remords sourds et doutes morbides s'abattent alors sur sa boîte crânienne. Comme une pluie acide, lentement, son âme est rongée par ses actes passés. Au final, elle est une de ces personnes qui auront toujours énormément de mal à se tourner vers leurs futurs. Même son but actuel, la principale raison de sont voyage aujourd'hui long de deux ans, est liée au passé. En somme, elle ne fait que courir, fuir ses regrets pour mieux les enlacer plus tard, car rien n'y fait, c'est dans sa nature, elle culpabilise et culpabilisera sans doute toujours. Mais au lieu de s'apitoyer et pleurer sur ses cicatrices, elle avance et tente de s'habituer à la douleur de ces piques imaginaires, plantés dans son dos. Pour cela, elle leurre tant bien que mal les nuages au-dessus de sa petite tête brune. Se plongeant dans ses passions, comme la littérature ; en effet, elle aime énormément lire et apprécie tout particulièrement les légendes, d'ailleurs, dans sa besace, on retrouve un exemplaire conséquent des légendes d'Arcadia. Il est rangé entre les notes et cahiers dédiés à ses recherches. Car l'exilée étudie les créatures magiques, les divines, les démoniaques, pour une raison bien abstraite, celles-ci la fascine. Au fond, elle ne peut s'empêcher de penser qu'elles sont supérieur au genre humain. Mais elle se refuse à véritablement l'avouer, prônant une égalité d'importance qui à la base, est parfaitement égale entre toutes les foutues créatures qui peuplent ce foutu monde. Sa tolérance est extrêmement développé en effet, la preuve en est qu'elle aime même les gosses et les animaux. Mais une telle réflexion étant tout à fait paradoxale car scientifiquement incohérente, ses recherches ne seront sans doute jamais prises au sérieux. Elle ne s'en désespère pourtant pas et continue d'étudier au fil de son pèlerinage, pour elle comme elle dit, livres et nourritures dans sa besace, argent bien planqué dans le soutient-gorge et, parfois, petites réflexions philosophiques au coin des lèvres.